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sont ; on les voit riches, on les voit pauvres, n’importe ; leur qualité spéciale est d’être la représentation constante d’hier, d’avant-hier, du passé tout entier, et les masses, malgré bien des expériences de détail qui peuvent, çà et là, prêter à l’idée contraire, sont obstinées à les croire plus francs, plus honnêtes, plus français, plus solides que leurs adversaires, et les masses n’ont pas tort de penser ainsi. Surtout ce dont on est convaincu c’est que par la fixité même de leurs idées dont l’immobilité prête à rire quand tout est supposé en voie prospère, ils se recommandent aux angoisses des braves esprits quand tout va mal, attendu qu’ils représentent l’espérance du mieux puisqu’ils offrent imperturbablement un remède. En 1870, quand les armées eurent été détruites ou dispersées, ralliées, refaites à grand peine par des officiers intrépides mais paralysés dans tous leurs efforts raisonnables par cette honteuse comédie qui eut l’impudence de s’intituler le Gouvernement de la défense nationale et qui ne sut inventer que le ravage du pays, des mensonges sans fin, des bandes de francs-tireurs, des troupeaux de mobilisés, des pilleries honteuses, des conseils déshonorants aux prisonniers, tandis que la bourgeoisie libérale, curieuse de ne pas sortir de Tours que pour se réfugier à Bordeaux, s’enrôlait avec passion dans les grades de généraux ou au moins de colonels, on vit du moins, et toute la France l’a vu, et les gens qui ont encore quelques gouttes de sang dans les veines feront bien de ne pas l’oublier, la France a vu toutes les catégories de royalistes, paysan, petit bourgeois, gentilhomme sans le sou, propriétaire de manoir de deux mille francs de rente, comme le plus grand seigneur, s’enrôler ou servir sans se soucier du rang, sans se soucier du grade. On