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Un des héros de l’esprit moderne l’a insinué quand il a prononcé cette maxime : « la République est ce qui nous divise le moins ».

En soi, il n’y aurait rien d’extraordinaire à ce que toute mesure de sens fût absente de cette phrase célèbre et qu’un esprit judicieux dût se borner à y admirer l’heureux cliquetis de mots dont les intelligences se payent aujourd’hui très volontiers. Mais si, par hasard, « la République est ce qui nous divise le moins », signifie quelque chose, c’est assurément que, demandant peu à la conviction, aussi peu à la conduite, se contentant d’un culte purement extérieur, sans portée, sans durée certaine, elle laisse sous ses enseignes chacun libre de s’avancer en jouant l’air qui lui plaît sur l’instrument qui lui fait plaisir, pourvu que de temps en temps, chacun s’écrie : « nous sommes en république ! »

C’est traiter cavalièrement une forme de gouvernement noble, digne, respectable et tout aussi ferme dans ses dogmes que la monarchie et qui n’a pas moins élevé que celle-ci des sociétés humaines honorables pour l’espèce.

Avouons, néanmoins, que cette situation n’est pas sans analogues dans l’histoire. Il y eut un jour où la coalition de vues et d’intérêts qui s’appelait la ligue, ne voulant pas reconnaître un Roi protestant, imagina de donner à M. le Duc de Mayenne l’exercice d’un pouvoir qui s’appelait : la Lieutenance générale du Royaume, État et Couronne de France. C’était une dénomination provisoire, transitoire, qui ne tranchait aucune question, ni la fantaisie des Lorrains de faire un Roi de M. le Prince de Joinville, ni la visée des Espagnols de marier ce prétendant à une Infante, ni les frénésies démagogiques de maître Louchard et de ses pareils, ni les arrière-pensées