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avec ou sans mérite, mais surtout sans mérite et, dès lors, pour le plus grand honneur de l’égalité, chacun, avec le temps, a des chances de se hausser aux honneurs officiels de la branche professionnelle à laquelle il a réduit sa vocation. Il passe sa vie dans son cabinet, dans son atelier, dans son amphithéâtre, dans les coulisses et sur les planches de la scène tragique, comique ou lyrique, animé de sentiments, poussé par des désirs, excité par des ambitions, soutenu par des espérances, guidé par une sagesse pratique, absolument pareils à ceux des fonctionnaires, et s’il doit parvenir à son but, la même couronne lui échoit. Comment pourrait-on faire des républicains avec tout ce monde-là ?

On répondra que, précisément on ne peut en faire des monarchistes ; que ces bandes d’utilitaires affamés ne sont guère de nature à comprendre l’essence des gouvernements confiés à la main d’un maître inamovible et cela parce que (s’empressera-t-on d’ajouter en enflant la voix) l’honneur est la base de la monarchie. En effet, il n’est rien qui ressemble à de l’honneur dans ce qui vient d’être exposé ; mais c’est une bien grande infortune pour la France que cette bibliothèque de maximes saugrenues dont ses grands écrivains ont pris soin de lui garnir la mémoire. Sans répliquer tout d’un courant comme la tentation en vient que pour peu qu’il soit vrai que l’honneur est la base des monarchies, c’est qu’alors la vertu est celle des républiques et que ce genre de pierre n’est pas là plus présent que l’autre, on peut se contenter de demander si la République est véritablement une combinaison tellement incolore, tellement impalpable, tellement ductile et dénuée de saveur, que tous les tempéraments s’en accommodent ?