Page:De Gobineau - La Troisième République française et ce qu'elle vaut, 1907.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 14 —

CHAPITRE VII.


C’est une des singularités les plus fâcheuses de la société française actuelle : tout y a tourné à l’emploi et les emplois y ont tourné au métier. On n’est plus savant pour savoir ou enseigner ; artiste pour produire, médecin pour soigner ; on est tout cela pour parvenir à tenir un rang dans une hiérarchie ; on veut s’incarner dans une nature de fonctionnaire. On prétend à l’ancienneté, on aspire à la faveur, parce qu’on n’est pas heureux à moins que de devenir membre d’un corps officiel quelconque ; on ambitionne une place dans une commission n’importe laquelle (il en existe pour tout au monde), on rêve un avancement analogue à l’avancement administratif, et comme pour obtenir tout avancement il est besoin, indispensablement besoin de s’emparer d’une part de la bienveillance de ceux qui en disposent, que faire du mérite ? Chacun reste bien convaincu que le savoir-faire vaut mille fois plus que le savoir. Dans de telles voies, pourquoi effaroucher par l’imprévu ou l’indépendance des idées et de la conduite ? Mieux vaut plaire par le convenu des aperçus et des intentions ; le succès est à ce prix. Il convient de cheminer derrière ceux qu’on a intérêt à se donner pour maîtres ; on devient modeste, peu bruyant, peu prétentieux, on se venge par une vanité folle — faible général des mandarins ; et tout ceci explique comment, en procédant de la sorte, la France en est réduite à cette heure à ne plus avoir ni philosophie, ni littérature, ni idées dans ses œuvres d’art, et à s’en aller descendant tous les degrés qui conduisent à la plus humiliante puérilité, stérilité et nullité intellectuelles. Mais, peu importe ; par ce système,