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testable que d’un tel mal, le pays aurait déjà cessé de vivre. Mais si la décomposition qui tient la matière administrative en épargne encore quelques parties, elle en sort pour s’étendre au dehors de la bureaucratie proprement dite, elle a gagné sur des terrains qu’elle n’eût pas dû toucher et c’est ce lamentable phénomène qu’il importe de faire toucher au doigt.

La notion que l’ancienneté et la faveur étaient les seuls véhicules possibles des situations personnelles étant bien établie, et les fonctionnaires publics composant la grande majorité des Français, il est arrivé que les emplois sociaux, en eux-mêmes, les plus répugnants à l’application d’un tel système s’y sont accommodés par imitation, et on voit maintenant les savants, les professeurs, les médecins, les artistes, peintres, sculpteurs, graveurs, architectes, comédiens, danseurs et musiciens, marchant tous, avec conviction et d’un pas mesuré, dans la voie du mandarinat, cherchant autant que possible à imiter les formes administratives, à faire admettre qu’ils portent un bouton d’un métal ou d’une matière quelconque à leur bonnet, se donnant et se faisant admettre pour des fonctionnaires et n’exerçant pas des arts ou des sciences libres, mais bien suivant des carrières régulières et cadencées, bref, se classant comme il convient à des gens respectables, dans des professions réglées par l’ancienneté, mouvementées par la faveur et où le mérite n’apparaît que comme les statues de Bouddha dans les temples chinois. On leur brûle un bâtonnet d’odeurs mais on ne s’en soucie pas autrement, et le sanctuaire n’est qu’une auberge ; on le traverse pour aller ailleurs, plus haut, dans les régions administratives elles-mêmes, à tout le moins au ciel de la Légion d’honneur, enfin, à la gloire ; tendit ad astra.