Page:De Gobineau - La Troisième République française et ce qu'elle vaut, 1907.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 10 —


rite, il faut qu’on reçoive une place rétribuée et, en vertu du même principe, quand on a la place rétribuée, il faut qu’on soit déclaré apte à en obtenir le plus promptement possible une plus rétribuée encore et ainsi de suite. Voilà ce que produit le mérite.

CHAPITRE V.

On a dû naturellement multiplier dans une proportion effrayante le nombre des places rétribuées afin de satisfaire aux exigences du mérite. Plus les idées démocratiques s’étendent, plus aussi le nombre des places devient considérable, car il est contraire à l’égalité que celui-ci ait une place parce qu’il a du mérite, tandis que celui-là n’aurait pas de mérite, ce à quoi il a droit tout autant que son voisin, afin d’être comme lui mis en état d’obtenir une place, ce qui est son droit strict. Voilà donc que la nation prise dans son ensemble est contrainte à se ruiner pour payer l’égalité, pour payer le mérite, pour rétribuer les places du mérite, et plus elle paye, plus les places et les titulaires d’emplois deviennent légions. Par un tel état de choses on peut admettre que l’égalité est satisfaite ; mais le mériter ? Il s’efface de plus en plus, et rien n’est plus naturel, car, de sa nature, le mérite est chose relativement rare et, pour tout et bien dire, c’est une aristocratie.

L’idée démocratique, logique de son côté, en est si bien persuadée qu’elle ne s’en soucie pas ; elle ne l’aime pas ; elle n’en veut pas ; elle se borne à le supposer ; elle le prend comme une fiction dont elle trouve les équivalents pratiques, c’est-à-dire, pour le recrutement et l’avancement dans les fonctions publiques, elle n’admet et il ne sau-