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met le bâton de maréchal de France dans la giberne du soldat. Supposons, un instant, qu’il s’y trouve, et considérons la théorie qui en est résultée. Ce n’est ni plus ni moins qu’une des bases les plus admirées de la société française moderne, une des plus préconisées, une des plus essentielles, ce n’est ni plus ni moins que le plus clair, le plus défini de ce qu’on nomme les principes de 1789. Le XVIIIe siècle entier s’est fait honneur d’en préparer l’avènement ; c’est le règne même du mérite l’emportant par sa seule et légitime puissance. Voyons ce que cela vaut dans la pratique.

Exactement ce que cela vaut en Chine où on a connu et pratiqué depuis des siècles ce grand principe de 89 et où il a produit, sans hésiter, le mandarinat. Tout le monde étant appelé, tout le monde pouvant être élu, tout le monde en a conclu qu’il avait un droit imprescriptible à l’être et, dès le premier examen qui n’a donné le succès qu’à une élite, a pris naissance la tribu dangereuse des méconnus et des mécontents. Du moment que ce n’est plus la naissance, la situation héréditaire, la possession de certains avantages précis, évidents, tangibles, qui crée le droit, mais que ce droit est immanent dans toutes les créatures composant une nation, l’une étant supposée valoir juste autant que l’autre, pourvu qu’elle ait cette chose si facilement méconnaissable, « le mérite », tout le monde, au nom de l’égalité, a conclu aussi avoir le mérite, et tout le monde a vociféré pour en obtenir les avantages. On dit que dans le monde antique ces avantages se réduisaient à la remise solennelle d’une couronne d’ache, d’olivier, de lierre ou de toute autre herbe ; je le veux croire ; mais il n’en va pas ainsi dans les temps modernes ; quand on a du mé-