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quelque chose de défini et de solide. Les mieux nantis de ces conservateurs, ceux qui vivent le plus près de l’autorité provisoire, non pas ces groupes d’étourneaux qui, en parlant des résidences présidentielles, aiment à dire : la « cour », mais bien ce cercle plus étendu qui a entrepris sur une échelle plus longue la culture de tels ou tels intérêts, ce cercle-là voudrait de la durée et partant tout autre chose qu’un septennat ou quelque combinaison temporaire. Mais c’est malheureusement en tant que temporaire que les républicains supportent ce qui plaît tant à ces conservateurs ; ils leur passent beaucoup, à la seule condition que rien n’en pourra tenir. Les conservateurs n’aiment donc pas la République et ils ont peur de la perdre, et ayant peur de la perdre, ils en veulent parce qu’ils ont peur des républicains.

Ceux-ci ne font nul mystère de leurs projets : ils sont parfaitement décidés à rayer tout ce qui est. Ils ne veulent ni les ducs, ni les agioteurs, ni les fonctionnaires, ni les riches industriels d’aujourd’hui, par la raison péremptoire que sous des dénominations, des titres, des appellations différentes, ils prétendent devenir eux-mêmes ce que ces gens-là veulent rester. Mais leur fleur d’espérance se perdrait, s’ils venaient à perdre cette République actuelle qu’ils n’aiment pas, attendu qu’elle seule leur fournira ce qu’ils souhaitent, par la vertu de l’instabilité son essence qui à leur gré contient tout. La République ne vaut à leurs yeux que par l’instabilité ; l’instabilité seule est son mérite et si elle s’en dépouillait, si, par exemple, elle prenait telle forme qui déterminât une fondation durable, ils lui voueraient immédiatement une haine aussi implacable que si elle était devenue monarchie.