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malheureuse société française de s’en aller se dégradant sans secousses, comme tout ce que la vie abandonne, et se laissant aller avec cette sorte de gravité morne de l’animal qui ne sent pas son mal ; il s’accroupit quand il ne peut plus se tenir debout, il s’étend s’il ne peut rester accroupi, et expire dignement sur le sein de la terre.

Mais il se trouve, au milieu de la torpeur générale, un million d’hommes peut-être, répandus à Paris et sur un petit nombre d’autres points, dans lesquels s’est concentré l’activité subsistante et ce sont eux qui font le bruit, et qui sans l’ombre d’un droit pour s’armer de tant de puissance, remuent à tour de bras la litière des majorités.

On ne verra pas là, assurément, une aristocratie, pas même cette aristocratie percée aux deux bouts que chercha M. Guizot, ce qui eût été une image parfaite de l’homme comme le définissait un philosophe du XVIIIe siècle. Cette bande d’un million d’artisans de désordre sans système, sans plan, sans cohésion, semblerait n’avoir pas de but à sa fébrile activité, si elle ne s’en proposait au contraire un très considérable à ses yeux, celui de faire ses affaires propres, chacun travaillant là, isolément, pour soi.

Ces gens viennent de partout : très peu de Paris même, celui-ci des environs des Pyrénées, cet autre du pied des Alpes, un troisième de l’Artois ou de Flandre, un quatrième de Bretagne ou de Normandie, et comme l’enfant une fois sorti du sein de sa mère, il n’est plus retenu à rien par le cordon ombilical bien et dûment tranché. Il est tombé à Paris qui ne lui est pas une patrie mais un champ à exploiter. Il ne cherche pas à y vivre de la façon qu’il l’eût fait dans sa province,