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et des dangers d’une route mal construite, pleine de fondrières et menant Dieu sait où. Il eût fallu, et cette résolution directe aurait eu seule quelques chances de produire un véritable bien, il eût fallu rectifier la route, en restreindre la largeur démesurée, reconnaître et tracer une direction nouvelle.

Était-ce possible ? On doit en douter. La ruineuse fécondité de l’espèce bureaucratique, son ampleur croissante en sens inverse de son mérite, ne sont pas des fléaux qui se laissent aisément supprimer, surtout quand ils ont déjà gagné et infecté tout l’esprit de la nation. Si des moyens existent d’arrêter ce stage d’une maladie assurément mortelle, ce ne peut être qu’en transformant de fond en comble toute l’organisation du pays et, sous l’Empire, où il était encore impossible de se rendre compte aussi bien et aussi généralement qu’on le peut faire aujourd’hui à l’aide de la sagacité la plus médiocre du résultat extrême désormais atteint par la centralisation, à savoir l’omnipotence des majorités, et l’hébètement de ces mêmes majorités, il n’était pas encore possible d’ébranler un échafaudage que l’on supposait encore excellent. L’Empereur ne pouvant donc empêcher la bureaucratie de vivre et de s’étendre, la mauvaise humeur qu’il lui témoigna lui tourna à mal, ce qui prouve qu’un instinct juste mais impuissant produit quelquefois, dans les grandes affaires, plus de mal que de bien.

L’Empereur eut encore une autre perception non moins exacte que la première : il aperçut que la destruction des provinces, la séparation du pays en circonscriptions minuscules, dans chacune desquelles toute manifestation de vie était soigneusement supprimée à cette fin que la force collective vînt se concentrer toute