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le voulait réellement et il ne reconnut pas la vérité, c’est que ce malheureux peuple usé, écœuré, dégoûté, sans muscles, sans nerfs et sans moelle, pleure ou s’impatiente après ce qu’il n’a pas, incapable qu’il est de s’attacher à ce qu’il tient. Il avait vu tomber le premier Empire avec enthousiasme et s’en allait alors chantant dans les rues de Paris, pendant l’occupation :

Enlacer le myrte au laurier
Voilà le plaisir d’un cosaque !

En 1830, il s’était, de ses propres mains, couvert d’une gloire de sa fabrique, en mettant dehors la monarchie très tempérée mais pourtant monarchie de Charles X. Il avait voulu la meilleure des républiques, une monarchie démocratique et il s’en débarrassa avec indignation, et sans occasion ; maintenant l’Empire second lui ayant rendu le luxe et la guerre, il commença à trouver que le cœur lui tournait et retourna s’asseoir dans son coin misanthropique. C’est qu’en réalité, si on avait, depuis 1815, servi tous ses caprices, comme ceux d’un enfant malade, les médecins successifs avaient, au fond, continué le même régime ; ils s’étaient bornés à le modifier seulement quelque peu ; mais sans jamais toucher au fond ; donc il n’y avait pas eu de vrais résultats meilleurs pour cette santé perdue ; on ne savait que faire et le second Empire qui, à première vue, semble avoir plus innové que ses prédécesseurs, n’a cependant rien fait d’essentiel. C’est pourquoi, dès le lendemain de la guerre de Crimée, il commença à perdre du terrain et à se trouver dans cette situation normale de tous les gouvernements français, que l’attaquer c’était être à peu près sûr d’avoir tout le monde de son avis.