Page:De Gobineau - La Troisième République française et ce qu'elle vaut, 1907.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 90 —

de là, il faut qu’un général qui a tout mis en déroute, se promène à perpétuité sur la scène, traînant le sabre, roulant les yeux, disant non, et ne se croyant jamais assez payé. Alors, il est incontestable que dans sa peau gîte un grand homme. Toute la question est de le rester et pour qu’il en soit ainsi, il faut demeurer le plus fort.

C’est exactement le même problème posé à tous les partis depuis cent ans et dont aucun n’a trouvé la solution. Il est vrai que cette fois-ci les termes en sont particulièrement simples :

— Je viens de vous sauver, si vous me perdez, vous êtes dévorés ; donc ne me perdez pas.

C’est très net. Il ne faut pas être dévorés et tant qu’on a peur de l’être, tout va bien, et le héros reste indispensable. Combien de temps a-t-on peur de l’être ? Combien de temps l’imagination reste-t-elle frappée ? Combien de temps reste-t-on convaincu que, pourvu qu’on ait la vie sauve et sauf ce qu’on a dans la poche, il n’y a pas lieu de se préoccuper et que tout est admirable ?

On retrouvera difficilement un homme qui ait reçu plus d’adorations que Napoléon Ier et recueilli la France battue par de si grands orages ; en outre, de quels éblouissements l’enchaînement continu des victoires et les plus prodigieuses conquêtes ne remplissaient-ils pas les yeux et ne saturaient-ils pas la vanité des sujets ! Cependant, en 1812, les incidents de la conspiration Mallet montrèrent bien que l’établissement impérial, c’était la statue même de Nabuchodonosor. Il s’en fallut d’un hasard qu’en quelques heures, tout fût précipité à terre et, à vrai dire, les prisons avaient beau être pleines de suspects, et la police la plus active qui fût jamais et la plus éveillée tenait en vain les yeux sur tous les mou-