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VOYAGE DE LA BELGICA.

Des albatros et des damiers, nous convoient maintenant, nous annonçant la proximité de la Terre de Feu.

Le 26 mars, 12 jours à peine après notre délivrance, nous reconnaissons l’île Noir. Il vente frais de l’O.-N.-O., la mer est très houleuse, le temps est « bouché ». L’obscurité ne va pas tarder à tomber : nous ne pouvons songer à « embouquer » dans le canal de Cockburn dont les approches sont parsemées d’écueils. Nous mouillons donc à l’abri de cette île.

Pendant la nuit, le vent est très dur ; des rafales dont la violence va croissant, couchent sans cesse le navire sous leur puissant effort. Vers 4 heures du matin, ces rafales, de plus en plus fréquentes, sévissent avec une force extrême ; elles halent le S.-O. ; notre mouillage n’est plus protégé.

Nous chassons sur notre ancre…

Branle-bas général ! Je fais filer de la chaîne et pousser les feux.

Les rafales redoublent ; elles soulèvent des nuées d’embrun et se confondent bientôt en une impétueuse bourrasque.

Dans la lueur blafarde de l’aube naissante, le spectacle est d’une effroyable grandeur.

Mais notre ancre continue à labourer le fond et, dans l’embrun que balaye la tempête, surgissent soudain, à deux encablures à peine, des roches qu’entourent des brisants et sur lesquelles les vagues déferlent furieusement. Nous sommes drossés vers ces écueils.

Comme le 2 janvier de l’année précédente, la Belgica est en perdition, en perdition si près du port et après tant de dangers courus ! J’avais bien cru, l’an dernier, ne pas sortir des canaux de la Terre de Feu. Il semble, cette fois, que nous n’y rentrerons pas.

Vainement, en s’y mettant tous, savants et matelots, on s’est efforcé de virer l’ancre pour appareiller. Il faut la sacrifier maintenant, sans hésitation, et « filer la chaîne par le bout » pour sauver le navire…

La trinquette est établie, la machine est mise en marche ; vent arrière et à toute vapeur nous fuyons…

Débarrassée du croc qu’elle traînait sur le fond, haletante sous les pulsations de sa machine, notre bonne Belgica, s’élevant gracieusement à la lame, n’est plus la chose inerte que les roches allaient impitoyablement briser.

Mais elle est bien petite, notre coquille, sur cette mer démontée…

… Malgré les nuées qui obscurcissent l’air, le jour, peu à peu, se fait. Par le travers, la Fuégie s’estompe dans la brume en des contours indécis. Plus près de nous, plus nettes, des roches innom-