Page:De Gerlache - Le premier hivernage dans les glaces antarctiques, 1902.djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.
VOYAGE DE LA BELGICA.

Quand nous ne jouons pas aux cartes, la lecture occupe nos soirées jusqu’à onze heures, heure à laquelle invariablement on éteint la lampe du carré.

Nous recherchons avidement les livres qui peuvent détourner nos pensées de notre triste situation. Je trouve pour ma part un charme tout particulier à la lecture d’Africaines, le livre attachant dans lequel mon ami Lemaire a si heureusement évoqué l’Afrique : ces visions empruntent au contraste un charme puissant.

Le 21 juin, à six heures, temps du bord, a lieu pour nous le solstice d’hiver.

Le vent est du Sud-Ouest, il fait très froid, l’air est très transparent. À partir de ce moment, les jours vont croître ou plutôt, puisqu’il n’y a pas de jour et que le soleil ne se montrera à l’horizon que dans cinq semaines, l’aurore et le crépuscule seront de plus en plus longs.

L’atmosphère étant exceptionnellement pure ce jour-là, on pouvait lire, sur le pont, de onze heures du matin à une heure de l’après-midi, des caractères d’imprimerie de la grosseur de ceux-ci.

À midi, le ciel était merveilleusement coloré ; le fond d’azur sur lequel se détachaient, brillantes, Jupiter et quelques étoiles de première grandeur, était diapré à l’horizon de toutes les couleurs du spectre solaire, tandis que, dans la région zénithale, un amas de cirri vivement teintés de rose s’estompaient sur la voûte de saphir.

Notre situation devait s’améliorer avec le retour du soleil. Cet événement, mémorable pour nous, et qui fut salué avec une joie profonde, se produisit le 21 juillet.

À cette date, nos couleurs, hissées au grand mât, fêtèrent à la fois l’anniversaire de la dynastie belge et la réapparition de l’astre radieux qui nous avait tant manqué.

À vrai dire, le soleil ne s’éleva pas encore au-dessus de notre horizon ce jour-là. Mais comme, à midi, il n’en était plus qu’à quelques minutes de degré, nous pûmes apercevoir un fragment du disque, du haut d’un iceberg voisin dont nous avions fait l’ascension tout exprès.

En même temps, ses rayons, sans descendre jusqu’au pont de la Belgica, dorèrent un instant les plis du pavillon tricolore qui flottait au sommet du grand mât.

Après qu’il eut disparu, nous demeurâmes pendant quelque temps en contemplation devant la lueur qui se reflétait encore sur l’horizon ; puis tout retomba aux ténèbres des dernières semaines.