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VOYAGE DE LA BELGICA.

et toutes ses gloires, tandis qu’en ce dimanche de printemps, il y avait, sans doute, partout en Europe, exubérance de vie et de gaieté, — tout au bout du Monde, dans la nuit sinistre et froide, au milieu de cette désolation des désolations qu’est la banquise antarctique, ce drame simple et poignant avait son dénouement.

La mort faisait son apparition sur la Belgica pour nous enlever notre camarade Danco…

Ce jour-là nous prîmes nos repas dans mon étroit salonnet, car le moindre bruit fatiguait maintenant notre pauvre ami étendu depuis quinze jours sur le sofa du carré, notre chambre commune.

Vers sept heures, après le souper, Lecointe, son camarade de promotion, se rendit auprès de lui pour lui parler de son cher régiment qui était tout ce qui lui tint encore lieu de famille. Mais le malheureux était épuisé. L’effort de volonté, la réaction espérés ne se produisirent pas. Pourtant, lorsque quelques instants après nous nous groupâmes tous auprès de lui, il tourna vers nous ses bons yeux reconnaissants et, d’une voix basse et faible comme un souffle, il murmura : « Je me sens mieux, merci. » Presque aussitôt, son visage amaigri se couvrit d’une pâleur effrayante ; ses traits se contractèrent et il se raidit en arrière…

Quand nous fûmes un peu revenus de la consternation qui nous avait rendus muets et immobiles, nous songeâmes à lui rendre les derniers devoirs. Nous le couvrîmes du pavillon national et nous annonçâmes le triste événement à l’équipage désolé qui, respectueusement, défila devant lui…

Le lendemain, tout travail fut suspendu en signe de deuil.

Seul, le voilier procéda à la confection du sac en toile à voile qui devait servir de linceul.

Au moment où nous ensevelissions la dépouille de notre ami, mû par une touchante pensée, Van Rysselberghe s’approcha de lui et déposa sur sa poitrine quelques fleurs, maintenant fanées, que sa mère lui avait données avant le départ…

Le 7, jour des funérailles, il faisait mauvais ; la bise était âpre et glaciale ; on eut toutes les peines du monde à creuser le trou par lequel notre ami devait disparaître à jamais. Les drisses des pavillons, raidies par le gel, n’étaient pas maniables. Je désirais cependant que notre lointaine patrie fût représentée aux funérailles de Danco — lui qui l’avait tant aimée et si bien servie — et je fis attacher l’emblème national à mi-hauteur des grands haubans.

Vers onze heures, lorsque la nuit eut fait place à la lueur blafarde qui tenait lieu de jour, quatre hommes s’attelèrent au traîneau sur lequel le corps de notre camarade avait été déposé

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