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VOYAGE DE LA BELGICA.

La température est fonction directe de la direction du vent. Les vents du Sud apportent les grands froids, tandis que par ceux qui soufflent du Nord, c’est-à-dire du large, la température s’élève rapidement jusqu’à zéro et même quelques dixièmes au-dessus. Ce sont ces vents du Nord qui nous donnent en mai une température moyenne (— 6,5°) plus élevée de 5,3° que celle d’avril.

Nous atteignons en mai les points extrêmes de notre dérive vers le Sud, le 16 : 71° 35’ par 89° 10’ O., et le 31 : 71° 36’ S…

Mais peu à peu, la banquise, un moment détendue, se resserre, de violentes pressions sévissent et, sur les bords rejoints des crevasses, des hummocks se dressent…

Les habitants de la banquise nous abandonnent.

Le soleil ne se montre plus que quelques instants sur l’horizon ; la nuit polaire s’abat sur nous…


Le 17 mai, à l’occasion de la fête nationale norvégienne, je fais donner du champagne aux hommes de l’équipage.

L’un d’eux m’exprime le regret de ne pas voir plus de nationalités différentes, partant plus d’anniversaires à bord. Ce n’est pas mon avis : si notre cave est fraîche, elle est peu garnie ; nous ne possédons que quelques bouteilles, cadeaux d’amis qui ont pensé pour moi au superflu.

Ce jour-là, un fragment du disque solaire nous apparut encore, grâce à la réfraction ; puis commença une nuit de seize cents heures.


Au milieu de la journée, pourtant, l’obscurité cessait d’être complète.

Vers neuf heures au début et plus tard, au solstice, vers dix heures, l’aurore naissait ; c’était une clarté blafarde dont la faible intensité ne variait qu’à peine. On sentait que cette pâle aurore était impuissante à enfanter le jour ; bientôt elle renonçait à l’effort tenté pour triompher des ténèbres ; par une transition insensible, elle devenait crépuscule ; vers trois heures, ce crépuscule lui-même s’éteignait.

Encore fallait-il, pour nous donner ce triste semblant de jour, que l’atmosphère fût sereine, ce qui était relativement rare ; par les temps couverts et lorsqu’il neigeait, nous devions allumer les lampes pour le repas de midi.

Dans la lumière diffuse qui remplissait l’atmosphère durant quatre heures sur vingt-quatre, on ne distinguait pas les aspérités de la banquise, qui apparaissait comme une grande plaine, d’un

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