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Nous n’avons pas une heure à perdre : pour faire œuvre utile, il faut travailler rapidement, sans s’arrêter aux détails, de façon à obtenir une bonne carte d’ensemble, indiquant, pour les besoins de la navigation, la physionomie de ces parages. Tandis que les uns sont à terre, les autres, à bord de la Belgica, vont d’un rivage à l’autre, cherchant des points de repère, mesurant des angles, levant la carte.

Notre zèle se double d’enthousiasme.

Quand nous débarquons, Arctowski, détachant avec un marteau des éclats de vulgaire granit, semble un prospecteur cherchant du quartz aurifère ; Racovitza, dans les rares solutions de continuité de l’épais manteau de glace qui recouvre les terres, cueille parfois une graminée minuscule avec les mêmes soins que s’il s’agissait d’une orchidée rarissime…

Sur les plaques de glace, des phoques somnolent béatement ou s’étirent avec volupté sous les caresses du soleil.

Les flots sont peuplés de cétacés. De quelque côté que nous regardions, nous en voyons des jeux de trois ou quatre individus. Durant la nuit, nous entendons leur grand souffle profond qui, seul, avec le cri perçant des manchots et les sourdes détonations produites au loin par le vêlage des glaciers, rompt l’impressionnant silence qui règne autour de nous.

Le 30 janvier, j’entreprends avec Danco, Cook, Arctowski et Amundsen une petite expédition sur l’île Brabant, dans le but d’atteindre un point élevé d’où nous puissions jouir d’une bonne vue d’ensemble et effectuer quelques mesures d’angles. Nous nous munissons de deux traîneaux sur lesquels nous chargeons un théodolite, des vivres pour une quinzaine de jours, notre tente en soie, des skis, des raquettes à neige, un réchaud, du pétrole, des lits-sacs en peau de renne, en un mot tout ce qui est nécessaire pour une excursion de quelque durée sur la neige et la glace.

Nous restâmes huit jours sur cette île, mais sans grand résultat au point de vue des observations — car il régna, presque constamment, une brume épaisse — et sans faire beaucoup de chemin, car les monts Solvay, couverts de glaciers aux crevasses profondes, sont pour ainsi dire impraticables.

Pendant une de nos marches, nous avons une vive alerte :

Danco est attelé au même traîneau que moi ; nous sommes à quelques mètres l’un de l’autre. Soudain, mon brave ami disparaît brusquement comme si une trappe s’était ouverte sous ses pieds. Je m’arc-boute immédiatement pour le retenir. Mais il est pro-