Page:De Gerlache - Le premier hivernage dans les glaces antarctiques, 1902.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.
DU NORD AU SUD.

Autour d’un arbre de Noël, nous disposons pour chaque homme un paquet contenant : un anorak et un pantalon en toile à voile, un tricot d’Islande, une paire de mitaines et un bonnet fourré offerts par l’Expédition ; puis des « surprises », des jeux de patience, des pipes, des blagues remplies de tabac, souvenirs de notre bonne fée anversoise Mme Osterrieth.

Nous préparons ensuite les cadeaux destinés à l’état-major : des porte-crayons, des cachets en argent, avec cette devise pleine de promesses : Audaces fortuna juvat ; des foulards, des livres enfermés dans des couvertures brodées aux initiales de chacun.

Ce sont enfin, pour tous, des gâteaux délicieux faits spécialement à Bruxelles, il y a trois mois, et qui semblent cuits d’hier.

Aussi, quelle joie au retour de la corvée imprévue !

Van Rysselberghe et Tollefsen prennent la parole à tour de rôle au nom de leurs camarades belges et norvégiens, pour me renouveler l’assurance de leur dévouement.

Je les remercie de leurs cordiales paroles, et, les exhortant une fois de plus à la bonne entente, j’attire leur attention sur notre devise nationale qui doit être aussi celle de la Belgica pour que notre campagne soit fructueuse. Mes derniers mots sont couverts par des hourras en l’honneur de la Belgique.

Tout le monde est profondément ému ; les distances hiérarchiques sont bien près de s’effacer ; nous sentons si bien en ce moment que nous sommes les membres d’une même famille et que, pour vaincre, nous devons nous serrer cœur contre cœur, car l’heure des périls et des fatigues va sonner pour nous.

… L’heure des périls ! je ne croyais pourtant pas qu’elle dût sonner si tôt, si loin du but !


Le 1er janvier 1898, vers 10 h. 30 du soir, dans la partie orientale du canal du Beagle, à quelques milles de l’Atlantique, la Belgica est drossée par un courant sur une roche immergée. Nous faisons aussitôt machine arrière à toute vitesse ; cette manœuvre reste sans effet. Nous essayons, toute la nuit durant, les manœuvres présentant quelque chance de salut ; nous sacrifions notre provision d’eau potable et même plusieurs tonnes de ce charbon que nous avons eu tant de peine à embarquer. Rien n’y fait. Pour comble de malheur, la brise fraîchit, la mer se forme, elle devient très mauvaise et déferle bientôt avec furie sur les flancs de notre cher petit navire. La Belgica tressaute, heurte violemment la roche fatale, les lames balayent le pont… nous sommes en perdition !