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VOYAGE DE LA BELGICA.

Un cuisinier suédois fut engagé. Il tomba malade le lendemain du départ et dut être débarqué par la suite à Punta-Arenas. Nous appareillons donc le 14 novembre.


Le 17, nous voyons les premiers albatros ; le surlendemain les premiers manchots.

Nous sommes favorisés par le temps. Une brise légère rafraîchit la température ; il fait délicieusement bon.

Les albatros noirs et blancs sont de plus en plus nombreux autour de nous. Sur la mer, de grandes algues ondulent aux caprices des vagues.

Les aurores et les crépuscules, très longs maintenant, déploient toute la magie des couleurs, tout l’orient des plus belles nacres. Quand le soleil a disparu sous l’horizon, le ciel se colore ; un reflet d’or l’illumine longtemps encore et ce n’est que très, très lentement qu’il s’assombrit assez pour que la clarté des étoiles devienne distincte. Alors, à l’avant, la Croix du Sud se dessine, sollicitant nos rêveries vers les prestigieux pays de l’extrême Sud…

Le 26 novembre cependant, le temps se gâte. Le lendemain, une forte tempête du Sud-Ouest s’abat sur nous. La mer est démontée. Je dois recourir au filage de l’huile pour tempérer autour de nous l’action des flots.

La Belgica se comporte à merveille ; mais, vers dix heures du soir, le vent souffle avec une telle violence, la mer est si grosse que je vais me résoudre à « fuir devant le temps » et à chercher l’abri des Falkland, ce qui nous ferait perdre plusieurs jours. Heureusement la brise mollit soudain, le temps devient plus maniable.

Le 29, à cinq heures du matin, nous apercevons le cap des Vierges et, à midi, nous embouquons dans le détroit de Magellan…


La navigation dans le détroit de Magellan, comme en général dans tous les canaux de la Terre de Feu, exige la plus grande attention ; les courants y sont d’une grande violence et l’on y essuie des coups de vent terribles.

Avant d’atteindre Punta-Arenas, on doit franchir deux goulets étroits où les courants de marée atteignent une vitesse de sept à huit nœuds. Nous ne pouvions songer à nous engager dans ces passes autrement qu’avec le flot, c’est-à-dire avec le courant de marée montante venant de l’Atlantique. Nous avons donc procédé par étapes, et ce n’est que le surlendemain de notre entrée dans