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VOYAGE DE LA BELGICA.

du Gaz (compagnie belge), à bord duquel se trouvaient le ministre de Belgique et quelques membres de la colonie ; un autre monté par notre compatriote M. Cruls, l’éminent directeur de l’Observatoire, enfin un vapeur de l’État. Nous étions sous petit pavois, les couleurs brésiliennes au grand mât.

Tous les vaisseaux de guerre mouillés sur rade nous saluèrent au passage et hissèrent des signaux nous souhaitant bon succès. À bord du cuirassé anglais Retribution, le commandant et son état-major, alignés sur le pont arrière, donnèrent eux-mêmes le signal des vivats à l’équipage rangé à l’avant et massé dans les haubans, face à la Belgica, tandis que l’homme de garde présentait les armes. Sur le Fort Villegagnon, devant lequel nous passâmes, une musique militaire joua la Brabançonne…


Notre traversée jusqu’à Punta-Arenas devant encore durer plusieurs semaines, Racovitza, que le mal de mer avait le plus éprouvé, nous avait quittés à Rio. Il avait pris passage sur un paquebot rapide, qui le conduisit en six jours dans le détroit de Magellan où il put, en nous attendant, se livrer à des recherches zoologiques et botaniques.

En revanche, nous avions embarqué le Dr Cook, dont l’engagement s’était véritablement fait à la yankee, et avec lequel je n’avais échangé jusque-là que quelques mots — par câble.

Le 8 novembre, au moment où nous entrons dans le Rio de la Plata, un pampero nous assaille. Je me décide à aller étaler ce coup de vent de suroit à l’abri du cap Polonio. Le lendemain, nous profitons d’une embellie pour nous rendre à terre où nous recevons un accueil cordial des vingt personnes qui habitent là deux ou trois maisonnettes bâties autour du phare.

Ces braves gens vivent de la chasse aux phoques qui se pratique tous les ans, du 15 mai au 14 octobre, sur les îlots gisant en chapelet à quelques encablures de la côte ; la petite colonie a capturé cette année 9 000 phoques et elle a établi une fonderie de graisse.

… Du 11 au 14 novembre, escale à Montevideo. Un compatriote rencontré là me conduit au marché. Pendant deux heures, nous y marchandons des légumes, des fruits, de la volaille, de la viande et du poisson.

Cette promenade me remet en mémoire une première visite que je fis, il y a quelque dix ans, à ce même marché de Montevideo. J’étais alors matelot à bord d’un voilier anglais, parti d’Anvers pour San-Francisco et que les fortunes de la mer avaient, après six mois de pénible navigation, amené désemparé à Montevideo. Nous