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DU NORD AU SUD.

La traversée de l’Atlantique fut longue, monotone et plutôt pénible. Les vents alizés nous faussèrent souvent compagnie.

Je ne retrouve au journal du bord aucune notation d’incident marquant. J’y relève cependant cette mention, à la date du 4 octobre :

« À une heure trente, dépassé le quatre-mâts français Antoinette, de Dunkerque, en vue depuis le matin. Au moment où nous sommes par le travers l’un de l’autre, nos couleurs sont hissées simultanément et quelqu’un crie de la dunette du bâtiment français : « Vive la Belgique ! Vivent les hardis explorateurs ! » Tout l’équipage français répète ces vivats, auxquels nous répondons par les cris plusieurs fois répétés de : « Vive la France ! »

Il n’y a pas de place dans un livre de bord pour de longs développements. Mais, en dépit de son laconisme, ce simple procès-verbal suffit à évoquer dans ma mémoire une scène profondément émouvante…

Arctowski et Racovitza souffrent beaucoup du mal de mer. Ils n’en emploient pas moins vaillamment leurs heures valides à aménager les laboratoires, qui finissent par prendre, dans leur exiguïté, un air confortable et sérieux, faisant fort bien augurer de l’avenir…

Une expédition antarctique ne saurait débuter autrement que par une traversée de la zone torride. Futurs explorateurs de la banquise, en attendant d’avoir des glaçons plein la barbe, nous sommes accablés par la chaleur, en dépit de nos sommaires costumes blancs et de nos chapeaux de paille. Dans les cabines, disposées autour de la machine, et soigneusement calfeutrées en prévision des basses températures qui nous attendent, le thermomètre s’élève à plusieurs reprises jusqu’à 55° au-dessus de zéro ; aussi avons-nous installé des hamacs sur le pont et abandonné temporairement nos couchettes.

Les moments gais de la journée sont ceux des repas qui nous réunissent autour de la table du carré. Partie de sujets scientifiques ou plaisants, de souvenirs de voyages ou de la vie d’étudiant, presque toujours la conversation aboutit à l’Antarctide, le mystérieux pays de nos rêves !

Le soir, après le souper, les matelots réunis sur le gaillard d’avant chantent, tantôt de naïves mélodies scandinaves, empreintes toujours d’une teinte très douce de mélancolie, tantôt de bruyants et gais refrains flamands tout débordants de vie, et que l’accordéon allègrement accompagne. Nous les écoutons en faisant les cent pas sur la dunette, en manière de promenade