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MÉMOIRES.

Il n’est pas surprenant que les anciens Canadiens, avant la révolution de 89, conservassent leurs liens d’affection pour la France : leurs relations avec leurs anciens compatriotes n’avaient guère été interrompues depuis la conquête. Plusieurs gentilshommes canadiens, messieurs de Salaberry, de Saint-Luc, de Léry, Baby, de Saint-Ours, mes deux oncles de Lanaudière et autres, parlaient avec enthousiasme de la France, des merveilles de la cour, de la bonté du Roi, de la beauté de la Reine et de l’affabilité de toute la famille royale. Monsieur de Salaberry avait vu le Dauphin au jardin des Tuileries, dans les bras d’une femme d’honneur, lors de l’ascension d’un ballon que lancèrent les frères Montgolfier. — Cet aimable et bel enfant, disait-il, élevait ses deux petites mains vers le ciel, où il devait bien vite s’envoler après d’affreuses tortures ! Et chacun s’attendrissait sur ces grandes infortunes royales en maudissant leurs bourreaux.

Monsieur Louis René Chaussegros de Léry appartenait aux gardes du corps de Louis XVI ; étant en semestre, il eut le bonheur d’échapper au massacre du 10 d’août. De retour au Canada, il chantait une complainte empreinte de sensibilité, qui faisait verser des larmes à ceux qui l’entendaient. Étant bien jeune alors, je ne me la rappelle que bien imparfaitement, mais je crois devoir la donner d’après mes souvenirs, laissant aux poètes le soin d’en rétablir le texte, s’ils ne sont pas satisfaits du mien. La femme du Gouverneur, lady Milnes, le pria de la chanter à un dîner, au château Saint-Louis ; mais éclatant en sanglots après le premier couplet, elle laissa la table ; puis revenant à