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MÉMOIRES.

la verge de fer de l’infâme Simon ; et, chaque fois, tous les habitants secouaient la tête en disant que tout cela était un conte inventé par l’Anglais.

C’est une chose assez remarquable que je n’aie jamais entendu un homme du peuple accuser Louis XV des désastres des Canadiens, par suite de l’abandon de la colonie à ses propres ressources. Si quelqu’un jetait le blâme sur le monarque : bah ! bah ! ripostait Jean-Baptiste, c’est la Pompadour qui a vendu le pays à l’Anglais ! Et ils se répandaient en reproches contre elle.

C’était en l’année 1793 : je n’avais que sept ans, mais une circonstance que je vais rapporter me rappelle que nous étions en hiver, et la scène qui eut lieu m’est aussi présente à l’esprit que si elle s’était passée ce matin. Ma mère, et ma tante, sa sœur Marie Louise de Lanaudière, causaient assises près d’une table. Mon père venait de recevoir son journal, et elles l’interrogeaient des yeux avec anxiété, car il n’arrivait depuis longtemps que de bien tristes nouvelles de la France. Mon père bondit tout à coup sur sa chaise, ses grands yeux noirs lancèrent des flammes, une affreuse pâleur se répandit sur son visage, d’ordinaire si coloré, il se prit la tête à deux mains, en s’écriant : Ah ! les infâmes ! Ils ont guillotiné leur Roi !

Ma mère et sa sœur éclatèrent en sanglots ; et je voyais leurs larmes fondre l’épais frimas des vitres des deux fenêtres où elles restèrent longtemps la tête appuyée. Dès ce jour, je compris les horreurs de la révolution française.