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MÉMOIRES.

air inquiet, ou en aboyant avec fureur, s’ils apercevaient un capuchon : à ces signes on pouvait dire, sans se tromper, qu’ils avaient tourné la broche des bons frères.

Avant de clore ce chapitre sur les récollets, je crois devoir rapporter une anecdote d’un de ces moines, mort il y a environ vingt ans. Quoique retournés à la vie des laïques après l’incendie de leur couvent, ils ne laissaient pas d’en suivre les règles autant que le permettait leur nouvelles position. Par une des règles de leur ordre, tout fils de Saint-François devait mourir dans son cercueil. Le récollet auquel nous faisons allusion, voyant approcher l’heure fatale, se fit déposer dans le sien pour y faire, sans doute, de sérieuses réflexions sur le néant de la vie. Laissons parler son infirmier, espèce d’original sans esprit en apparence, mais qui ne laissait pas d’amuser par le côté comique de ses histoires.

— Ça me fit de la peine, quand même, nous disait-il, de voir ce pauvre récollet si aimable, si gai encore la veille, étendu de tout son long dans cette triste boîte dont il ne devait plus sortir ; de le voir les mains jointes sur la poitrine comme s’il eut été déjà mort. Il me vint une bonne idée. Le saint frère, sans en faire mauvais usage, aimait un petit coup de temps en temps, il était vieux, et il nous disait que ça lui réchauffait le cœur. Essayons toujours, pensais-je, si mon remède le fera sortir de sa boîte. Je prends une bouteille d’esprit de rhum de jean-marie (Jamaïque), j’en verse à moitié d’un tumbler (gobelet), je le remplie d’eau bouillante, je sucre et muscade