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MÉMOIRES.

Ni prières de ma mère, ni menaces du frater qui voulait m’en faire avaler une autre décoction, quand il eut vidé ses poches de veste et ses bottes du précieux breuvage dont je l’avais submergé, ne purent me décider à en avaler une seule goutte. Tout ce que je puis dire du précieux breuvage, c’est qu’il m’en resta encore assez dans l’estomac pour agir puissamment sur cet organe pendant le reste de la nuit. J’aurais, je crois, rendu l’âme, si j’eusse tout avalé.

Après avoir bien ri de l’avanie faite aux fils de Saint-François, mon père leur demanda le mot de cette énigme inexplicable.

— Nous croyons l’avoir devinée, fit frère Marc : vous savez que les habitants se font un plaisir de transporter dans leurs voitures le produit de nos quêtes d’une paroisse à une autre. Les deux quarts d’œufs furent déposés, le soir, chez un aubergiste de la paroisse de ***, chez lequel pensionnait un étranger qui ne craignait ni Dieu, ni diable : un vrai athée, qui raillait à tout propos les moines qu’il qualifiait de fainéants, s’engraissant des labeurs des pauvres ; et il est à supposer, qu’assisté de quelques mauvais sujets, il passa une partie de la nuit à faire bouillir nos œufs, sans égards pour l’estomac épuisé de ceux qui devaient s’en nourrir à la fin d’un carême rigide.

Le moine, après avoir parlé avec assez d’aigreur, fit chorus à l’hilarité de la famille, ainsi que son confrère.

— Soyez certains, mes pauvres frères, dit ma mère, après s’être levée deux à trois fois de table, pour rire plus à l’aise pendant le récit du récollet, que jamais œuf dur ne sera offert dans ma maison à un fils de