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MÉMOIRES.

Le soir, son mari arrive de l’ouvrage, tombe sur un coffret qui était au beau milieu de la porte d’entrée, se fait, dans sa chute, une bosse au front grosse comme un œuf de poule, jure comme un possédé en criant à sa femme d’apporter la bouteille au vinaigre pour bassiner la contusion. Fanchette court au garde-manger ; on entend un bruit de vaisselle cassée, le mari s’égosille à crier : Apporteras-tu à la fin le vinaigre ; où le diable t’a-t-il emportée que tu ne reviens plus !

— Ce n’est rien, mon homme, répond Fanchette, j’avais laissé la bouteille sur le plancher, et j’ai eu le malheur de la casser, mais c’est égal, la saumure vaut encore mieux pour les bosses à la tête, et je cours à la cave.

La malheureuse Fanchette, dans son empressement, s’accroche les jambes quelque part, tombe la tête la première dans la cave et se casse le cou.

Je racontais un jour cette histoire à ma mère, laquelle, après en avoir ri d’assez bon cœur, elle, si propre et si rangée, me demanda où j’avais pris ce conte.

Mais c’est ma grand-mère qui me l’a fait, lui dis-je.

— Fou que tu es, me dit-elle, tu avais à peine trois ans[1], lorsque ma belle-mère mourut ; et ma mère est morte peu de mois après ta naissance.

— Ce qui n’empêche pas, répliquai-je, que j’ai bien connu ma grand-mère, la dernière décédée, s’entend : elle avait une grande paire de lunettes d’argent qui lui pinçaient tellement le nez que si j’eusse été assez fort, lorsque je les empoignais avec mes petites mains, j’aurais plutôt déraciné le nez de ma chère grand-mère

  1. J’avais deux ans et cinq mois, lorsque ma grand’mère paternelle, Marie Anne Coulon de Villiers, passa de vie à trépas.