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nier goût d’un petit-maître de Londres. Celui-ci, témoin de cette brutalité, dit au géant de ne plus frapper cet homme sans défense.

— Qui m’en empêchera ? fit ce dernier.

— Moi, répliqua le jeune homme.

— Tu ferais mieux de retourner sur les genoux de ta nourrice qui ne t’a pas sevré ! vociféra l’autre en le regardant avec des yeux féroces.

— J’ai bien envie, dit le jeune Cockney comme se parlant à lui-même, de donner une leçon de politesse à ce butor. Et ce disant, il ôte avec le plus grand sang-froid ses gants de kid blanc, les plie avec soin, les met dans la poche de son habit dont il retrousse l’extrémité de manches, donne son chapeau à un des spectateurs, et dit : « viens me sevrer maintenant. »

La lutte ne fut pas longue ; deux coups de poing, appliqués avec la rapidité de l’éclair, rendirent aveugle le nouveau Poliphème, qui ne frappant plus ensuite qu’au hasard, se vit réduit à demander grâce et se retira le visage meurtri comme une pomme cuite. Quoique bien jeune alors, je réfléchis, à part moi, que le petit-maître n’aurait pas été assez sot de se mesurer avec un homme qui avait quatre fois sa force, s’il n’eût compté sur la supériorité que l’art lui donnait sur son adversaire.

Quelques années après cette scène, un jeune anglo-canadien, très-petit, très-délicat, de retour à Québec, après avoir fait un cours d’étude en Angleterre, assommait pour premier exploit un nommé Paul Clifford, le fier-à-bras le plus redoutable de la cité et des faubourgs. Et tout le monde de s’étonner que le jeune aristocrate