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rire sur son siège, elle s’écria : It is so ridiculous ! (c’est si ridicule,), et comme le rire est contagieux, ainsi que je l’ai observé, jamais depuis n’obtint le sieur Barbeau un si grand succès. Quant à notre jeune anglaise, elle passa la soirée chez moi avec mes autres amis, et chaque fois qu’elle pensait au théâtre du sieur Barbeau, elle éclatait de rire ; et à nos questions sur la cause de son hilarité, elle répondait : « c’est si ridicule ! » et recommençait à rire de nouveau.

Il y a des anecdotes si insignifiantes, qu’elles devraient être bien vite oubliées ; en voici pourtant une qui date d’au moins soixante ans et dont on parle encore aujourd’hui. C’était pendant la guerre continentale, et la consigne était si sévère, qu’on aurait cru les Français campés sur les plaines d’Abraham. Dès neuf heures du soir il fallait répondre au qui vive ! des sentinelles postées dans tous les coins de la ville de Québec. On racontait même des histoires bien lamentables de personnes sur lesquelles les sentinelles avaient fait feu, parce que, ignorant la langue anglaise, elles n’avaient pas répondu friend ! (ami !) au qui vive de la sentinelle.

Trois jeunes sœurs canadiennes, âgées de douze à quinze ans, revenaient gaîment du théâtre du sieur Barbeau, vers neuf heures du soir, lorsque la sentinelle postée à la porte Saint-Jean leur cria d’une voix de stentor : Who comes there ! (Qui vive !) Soit frayeur, soit ignorance de la réponse qu’elles devaient faire, les jeunes filles continuèrent à avancer, mais à une seconde sommation faite d’une voix encore plus éclatante que la première, l’aînée des jeunes filles répondit en trem-