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rue bordée de peupliers qui conduisait à l’ancien pont Dorchester, un groupe de femmes devant une maison de pauvre apparence située à l’est de la voie royale. Une d’elles, la femme d’un hôtelier des environs nommé Frédérick, nous informa que le père Marseille, l’ancien joueur de marionnettes, était passé de vie à trépas.

Le père Marseille n’était à peu près qu’un mythe dans mes souvenirs : j’avais bien entendu mes parents parler des jouissances que Monsieur et Madame Marseille leur avaient procurées pendant leur enfance : je les avais souvent ouï faire des remarques tout à l’avantage de ces deux illustres artistes, en comparant leur théâtre à celui de leur successeur Barbeau ; et l’envie me prit de voir les restes de cet homme dont j’avais entendu parler, mais que je croyais mort depuis longtemps.

Quoique je fusse l’enfant le plus turbulent du séminaire, ou peut-être à cause de cette précieuse qualité, notre directeur, Monsieur Bedard avait un grand faible pour moi ; et j’en profitais souvent pour solliciter des grâces que d’autres n’auraient osé lui demander.

— Je n’ai jamais vu de mort, lui dis-je, et je vous prie de me laisser voir le père Marseille.

— Si je croyais, reprit Monsieur Bedard, que cette vue fit sur toi une impression salutaire, j’accorderais avec plaisir ce que tu me demandes.

— Vous pouvez en être certain, répliquai-je en faisant des clins d’œil à mes amis : il ne me manque que cela pour me rendre sage comme un ange.