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Et encore : « ne vous pressez pas, l’ami ! vous avez toujours le temps d’arriver chez vous avant la nuit. »

Mais quoique nous fussions alors tous deux fous comme des jeunes chiens, j’étais, moi, trop connu dans nos campagnes de la côte du sud pour lui procurer ce plaisir. Arrivés, néanmoins, à l’anse de Berthier, et voyant un habitant conduisant au pas de son cheval une voiture chargée de cinq poches de farine, je crus devoir passer près de lui sans lui en demander la permission : ce qui était toujours l’usage en pareille circonstance. Mais Jean-Baptiste tenait trop à l’honneur de son magnifique cheval rouge pour souffrir qu’on lui fit un tel affront et il le lança à toute vitesse pour me disputer le chemin : cette secousse fut cause qu’une des chevilles de bois qui retenait une planche à l’arrière de la petite charrette cassât, en sorte que la dite planche suivie d’une des cinq poches de farine qu’elle retenait, tomba sur la terre qui fut aussitôt couverte du contenu du sac éventré dans toute sa longueur.

— Eh l’ami ! cria Plamondon, est-ce pour soulager votre guevalle (cavalle) que vous déchargez votre voiture ? vous êtes un homme prudent : vous craignez d’échauffer votre pourion !

— Va-t’en au diable ! s........é sauteur d’escalier[1] ! vociféra l’habitant tout en fouettant son cheval à tour de bras. Ce châtiment inattendu fit d’abord cabrer le cheval qui s’élança ensuite au galop de toute la force

  1. Sauteur d’escalier : nom injurieux que les habitants donnaient aux jeunes citadins qui les insultaient que trop souvent dans les rues de Québec.