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Lorsque Madame Taché sortait de l’église à l’issue des offices, les habitants prêts à partir arrêtaient tout à coup leurs chevaux et une longue suite de voitures, réglant leur marche sur la sienne, la suivaient jusqu’à ce qu’elle débouchât dans l’avenue qui conduit au manoir seigneurial. Et quoiqu’elle eût ensuite le dos tourné à ceux qui poursuivaient leur route ils n’en ôtaient pas moins leur chapeau en passant devant l’avenue, que si elle eût pu avoir connaissance de cette courtoisie. Je fus cependant témoin un jour d’une infraction à cette déférence universelle.

C’était le jour de la Saint-Louis, fête de la paroisse de Kamouraska : madame Taché précédait à l’ordinaire, à l’issue de la messe, une longue escorte de ses censitaires, lorsqu’un jeune gars, échauffé par de fréquentes libations dont plusieurs d’entre eux étaient coutumiers pendant les fêtes de paroisse à la campagne, lorsqu’un jeune gars, dis-je, se détachant du cortège, passa la voiture de sa seigneuresse de toute la vitesse de son cheval. Madame Taché fit arrêter sa voiture et se retournant du côté de ceux qui l’accompagnaient, s’écria d’une voix forte :

— Qui est l’insolent qui a passé devant moi ?

Un vieillard s’avança vers elle chapeau bas et lui dit avec des larmes dans la voix :

— C’est mon fils, madame, qui est malheureusement pris de boisson, mais soyez certaine que je l’amènerai vous faire des excuses et en attendant je vous prie de vouloir bien recevoir les miennes pour sa grossièreté.

Je dois ajouter que toute la paroisse ne parlait ensuite qu’avec indignation de la conduite de ce jeune