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pourquoi avoir des égards, du respect, pour un homme qui n’a aucun pouvoir sur nous ? Il est bien vrai que ce seigneur et ses ancêtres avant lui, ont toujours été prêts à nous rendre service, à nous venir en aide ; et qu’ils n’ont jamais sévi contre nous pour leurs droits de cens et rentes et de lods et ventes ? mais, bah ! le fils de Quénon Bellegueule que son père a poussé aux études, qui lit sans réplique dans les gros livres, ne nous a-t-il pas assuré que les seigneurs font tout cela pour nous enjôler et pour s’attirer des coups de chapeau ?

Et lorsque ce vieux lèche-plat de père Leclerc lui a répondu que ça ne serait toujours pas lui qui userait son chapeau à faire des saluts : qu’il était si fier depuis qu’il portait l’habit à poches et les bottes fines, qu’il ne rendait pas même le salut à l’habitant qui se découvrait devant lui ; le jeune Bellegueule ne lui a-t-il pas rivé le clou en lui disant que la politesse était une bêtise inventée par les seigneurs pour se faire encenser par l’habitant : que le fameux avocat Pousse-chicane avait prêché un dimanche, à l’issue des vêpres, que tous les hommes étant égaux, c’était s’avilir que de saluer un seigneur auquel il n’avait poussé que deux yeux comme à l’habitant !

Et voilà comme on a réussi à rompre les liens de bienveillance, de charité, de pure affection d’une part et de gratitude de l’autre.

J’ai connu pendant ma jeunesse tous les seigneurs du district de Québec et un grand nombre de ceux des autres districts qui formaient alors la province du Bas-Canada ; et je puis affirmer qu’ils étaient presque tous