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pâle ; et ce fut avec une contrainte où perçait un mouvement d’impatience qu’il me dit : parlez, monsieur.

— Ces trois paquets scellés, lui dis-je en les déposant sur sa table, renferment des sommes d’argent que je suis chargé de vous remettre, en vous priant de vouloir bien pardonner à celui ou à ceux qui vous les ont dérobées.

— Que peut-on me voler ? fit-il avec amertume en promenant ses regards autour de sa chambre ; le lit même sur lequel je cherche le repos ne m’appartient pas.

— Cette soustraction, répliquai-je, a été faite par une ou des personnes à votre service, lorsque vous étiez l’associé de Monsieur… Voilà ce que l’on m’a chargé de vous dire.

J’avais touché une corde bien sensible. Le vieillard joignit les mains, les éleva un instant à la hauteur de son front et se pressant ensuite le côté gauche de la poitrine, il s’écria : ah oui ! c’est ce qui m’a brisé le cœur.

Malgré les efforts que je faisais pour cacher mon émotion, mes yeux se voilèrent de larmes. Le vieillard, en proie à de sombres et à de douloureux souvenirs, garda longtemps le silence. Il pensait sans doute aux beaux jours de sa jeunesse, à ses espérances déchues, à ses premiers succès dans le commerce, aux luttes qu’il avait vainement soutenues pour détourner un malheur inévitable. Les souffrances de cette grande âme durent être atroces pendant l’espace de plus de trente ans que, se dérobant aux regards des hommes dont la vue lui était odieuse, il gémissait, sur ses vieux