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sommeil ; ce que je leur défie de faire à présent. Quoique bien armée mes nuits étaient sans sommeil, lorsque j’ai eu l’heureuse idée de me mettre à l’abri de toute surprise.

— Vous êtes bien, ma chère tante, la digne nièce de nos deux grand’tantes de Verchères,[1] qui défendirent, à la tête d’autres femmes en l’année 1690, et en l’année 1692, un fort attaqué par les sauvages, et les repoussèrent.

— Ah ! mon fils ! fit-elle en soupirant, si le ciel eût voulu que je fusse née homme !

Je ne pouvais m’empêcher d’admirer tant de courage dans un corps si frêle et si petit.

Les deux sœurs se livraient à la campagne à des exercices qui, suivant moi, sont du ressort exclusif du sexe masculin. Autant j’admire un homme à la figure mâle guidant avec adresse deux chevaux fougueux, autant j’éprouve de malaise en voyant les femmes de nos jours se livrer à ces exercices : la faiblesse inhérente à leur sexe leur ôte toute grâce lorsqu’elles tiennent les guides dans des mains délicates plus propres à tracer des fleurs gracieuses sur un canevas, à courir légèrement sur le clavier d’un piano, qu’à réprimer un cheval qui peut s’emporter au moindre bruit inusité, à la vue d’un objet qui lui cause de la frayeur. Passe encore pour l’équitation ; quelques dames certainement s’en acquittent avec grâce. Quant à mes deux chères tantes dompter des chevaux à la campagne était un de leurs passe temps les plus agréables.

  1. Voir l’histoire de la Nouvelle-France par Charlevoix.