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beaux jours de ma jeunesse qui commencent, hélas ! à fuir avec rapidité, et c’est avec beaucoup de regret que je me vois forcée de m’occuper pendant quelques minutes d’une affaire sérieuse pour l’avenir de ma famille : Monsieur l’avocat du Roi a eu la bonté de s’intéresser au sort d’une pauvre vieille dame menacée d’un procès ruineux qui peut la conduire au tombeau ! et avec votre permission je vais profiter de son obligeance et lui donner un petit aperçu de cette déplorable affaire qui m’a fait vieillir de cinquante ans dans l’espace d’un mois : oui, mesdames, il y a à peine quinze jours, j’avais encore les roses de la jeunesse sur ce visage flétri, j’aurais pu même passer pour la sœur cadette de cette belle dame, [1] épouse du célèbre avocat général, toujours prêt à secourir l’infortune.

Monsieur Sewell se prêta, avec complaisance, au désir de la douairière qui l’entretint pendant vingt minutes au moins, à haute voix et avec volubilité, du plus beau procès de chicane que jamais Normand chicanier et à tête croche ait inventé. La comtesse de Pimbesche des « Plaideurs » de Racine n’était qu’une sotte comparée à ma chère tante : Rien ne l’embarrassait : les noms des notaires qui avaient passé les actes, leurs dates précises, les citations tirées des dits actes ; tout coulait avec une abondance à étonner le savant avocat qui l’écoutait.

On annonce le souper. C’était alors la mode, et

  1. Madame Sewell, était une femme d’une grande beauté.