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MÉMOIRES.

poêles de fer, dont les premiers firent apparition, pendant mon enfance, dans la paroisse de Saint-Jean Port-Joli. On se rendait, le dimanche, d’une lieue à la ronde, chez l’heureux propriétaire d’un meuble si précieux et d’un ornement de si grand luxe.

Une servante frappe, le matin, à la porte de la chambre à coucher de mon père en lui criant qu’un homme, qu’elle ne connaissait pas, avait pris possession pendant la nuit d’un des cabinets destinés aux étrangers. Mon père passe une robe de chambre, et trouve en effet son ami le colonel Malcolm Fraser qui venait de s’éveiller.

— Allons, colonel ! cria mon père, nous ne sommes plus en 1759.[1] Quand on s’empare aujourd’hui, pendant la nuit, de la maison d’un Français, on a du moins la courtoisie de lui demander à souper.

— Quant au souper, fit le colonel, j’en ai fait un excellent chez notre ami monsieur Verrault, curé de Saint-Roch, qui a voulu aussi me garder à coucher. Mais je l’ai refusé pour me rapprocher de Québec, où je désire être ce soir ; soyez-donc tranquille de ce côté-là.

— Ce n’est pas sans peine que je me suis emparé de votre forteresse défendue par votre chien Niger.[2] J’ai

  1. Mon père faisait allusion à un détachement de l’armée de Wolfe, dont le colonel Fraser, alors Lieutenant du 78e Fraser’s Highlanders, faisaient partie, et qui brûla toutes les habitations de la côte du sud, depuis la Rivière Ouelle jusqu’à Saint-Jean Port-Joli, y inclus le manoir et le manoir et le moulin de mon grand-père.
  2. Niger était un magnifique chien de berger dont Lord dorchester avait fait cadeau à mon père, avant son départ du Canada. Lui et son épouse avaient laissé de petits souvenirs à leurs amis du Canada ; une petite table en acajou qui existe encore chez moi est un présent que Lady Dorchester fit à ma mère. Sans être riches, ces deux nobles époux n’en étaient pas moins généreux.