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MÉMOIRES.

qu’en juges sévères, ont eu l’obligeance de me reprocher de n’avoir pas commencé à écrire il y a quelques quarante ans. Était-ce un compliment ? Était-ce une épigramme ? Comme, malgré mon expérience, je n’ai jamais pu me persuader qu’on voulût mortifier quelqu’un de cœur joie, et encore moins un vieillard, j’ai pris la remarque en bonne part, et je me suis mis à écrire.

Si j’osais risquer un Irish bull, (un calembour irlandais) je dirais que mon plus ancien contemporain étant moi-même, je dois d’abord m’occuper de mon mince individu. Je devrais en effet me rappeler tous les détails de ma vie depuis le jour même de ma naissance, car bien déchirant dut être le cri de douleur que je poussai en ouvrant les yeux à la lumière.

Que m’importe après tout la critique ; je ne puis écrire l’histoire de mes contemporains sans écrire ma propre vie liée à celle de ceux que j’ai connus depuis mon enfance. Ma propre histoire sera donc le cadre dans lequel j’entasserai mes souvenirs.

Le lecteur me pardonnera d’entrer en matière par un conte : je ne prends rien au sérieux, à mon âge, si ce n’est la mort ; le reste n’est qu’une comédie qui tourne souvent au tragique. « Tel est pris qui croyait prendre », c’est le refrain d’une ancienne chanson canadienne.

LE COIN DE FANCHETTE
Mettez-le dans le coin…… J’ai oublié
de le mettre dans le coin.               
Conte de ma grand’-mère.

Il y avait jadis une femme nommée Fanchette : c’était une gaupe, sans ordre s’il en fût, qui laissait