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voir le capitaine de Salaberry du 60e régiment, chargé, d’abord avec le grade de major, de lever parmi ses compatriotes, un corps d’élite qui aurait nom « Voltigeurs-Canadiens ». Le régiment fut bien vite au grand complet ; chacun voulait servir sous un gentilhomme dont ils étaient fiers. Le plus difficile était de discipliner un corps d’hommes composés en grande partie des jeunes gens les plus tapageurs, les plus turbulents des villes, des faubourgs et des villages, qui semblèrent tomber au calme plat après leur départ.

Une petite scène donnera une idée de l’esprit d’indépendance et d’insubordination des nouvelles recrues de la cité de Québec avant que le bras de fer de leur commandant les eût ployés à la discipline militaire. Il entre un jour dans un hangar, lieu ordinaire des exercices, et est témoin d’un spectacle étrange pour un homme accoutumé à la discipline sévère de l’armée anglaise. C’était un carillon à ne pas entendre Dieu tonner, malgré les efforts des officiers et sous-officiers pour rétablir l’ordre.

Un nommé Rouleau, un des plus redoutables fiers-à-bras du faubourg Saint-Roch, nu jusqu’à la ceinture et écumant de rage, faisait appel à tous les assistants.

Il me semble voir encore le sieur Rouleau, habitué, à cause de ses rixes continuelles, du banc des prévenus pendant les cours de sessions de la paix. C’était un homme d’une haute stature, maigre, édenté ; un composé de nerfs et d’os avec un semblant de chair pour couvrir la charpente ; en un mot un spectre ambulant à l’air féroce. Rouleau se targuait de n’avoir pas perdu les dents à manger des sucreries, ajoutant que