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laquelle j’étais, comprendront que les muscles n’avaient que peu d’action pour briser de tels liens en retirant une jambe seulement. N’importe, à force de persévérance, d’efforts surhumains pendant l’espace de deux à trois heures, je cassai les courroies, mais aux dépens de mes deux tendons d’Achille qui restèrent si dégarnis de leurs accessoires de peau que je faillis être atteint de la mâchoire tenaille.

— Oui, mon cher de Gaspé ; je puis dire que c’est la seule fois que j’ai remercié Dieu avec ferveur de la force musculaire qu’il m’a donnée ; car lors de mon aventure au Fort Saint-Jean, je commandais à mes muscles, mais lors de la seconde épreuve je n’avais à mon service pour rompre les liens redoutables que la force du désespoir, et encore cette force était puissamment comprimée par la gêne dans laquelle j’étais.

Une petite anecdote en permettant de calculer la force de l’homme par comparaison, pourra donner une idée de celle de monsieur de Salaberry. Lui et mon oncle Gaspard de Lanaudière, aussi d’une force remarquable, étaient, un dimanche avant la messe, au presbytère du Cap-Santé. Un groupe des habitants de la paroisse entouraient une cloche, dont j’ai oublié le poids ; elle était destinée au clocher de l’église renversé par la foudre, et les hommes les plus forts essayaient en vain de lever de terre la lourde masse, lorsque mon oncle les rejoignant, souleva non-seulement la cloche, mais la fit tinter plusieurs coups à la grande surprise des spectateurs dont il avait d’abord essuyé un déluge de quolibets dirigés contre les messieurs qui voulaient faire les hommes. De retour au presbytère, il dit en