Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je n’ai pu m’empêcher de leur dire : Ça ne sera toujours pas le curé qui sera le plus à plaindre : il n’en mangera qu’un seul minot sur vingt-six que l’habitant récolte ; et il est même probable qu’il n’en mangera pas du tout, car comme tout le blé d’une paroisse ne peut germer dans le même automne, il mettra de côté pour sa provision celui qui n’aura pas eu d’avarie, vendra celui qui est endommagé et nous laissera manger notre blé germé, puisque nous y tenons. Là dessus ils m’ont dit : que je n’entendais rien aux affaires et que tout ce bavardage était pour flatter le curé.

— Maintenant, dis-je, parlons des élections.

— J’ai hoté (voté) pour le défunt monsieur, les deux fois qu’il s’est présenté ; et s’il n’a pas réussi, ce n’est pas la faute de notre paroisse qui a voté en masse pour lui ; mais comme le comté en renfermait cinq, nous y avons cassé notre pipe.

— Il me semble, père Romain, qu’un bon nombre de ses censitaires ont voté contre lui.

— Un tracas (petit nombre), monsieur Philippe, tout au plus une quinzaine, toujours ceux qui sont à la rebours du bon sens. D*** vint me trouver et me dit : si nous votons pour le seigneur, nous sommes tous des gens ruinés. — Pourquoi, que je lui dis ? — Parce que les seigneurs ne cherchent qu’à manger l’habitant.

— Vous savez, ajouta le père Chouinard, que je suis un homme pacifique, mais est-ce que la colère ne me surmonte pas ? Et j’allais quasiment me mettre dans les frais (s’exposer à une poursuite), quand ma femme vint à mon secours et vous l’écardit d’importance.

— Ce n’est toujours pas toi, animal, qu’elle lui dit,