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pendant l’espace de vingt ans au moins, qu’il a survécu à ce mariage, d’être témoin du bonheur de son plus cruel ennemi. Quand on parlait à Québec d’une union heureuse, d’une tendre épouse, d’une bonne mère, on citait ce digne couple. Mais gare à l’étranger qui tombait sous la griffe de cette excellente femme.

Il y a des gens, dit le père Chouinard, qui ont pourtant plus d’esprit que moi, qui prétendent qu’on ne doit point écouter les curés quand ils nous parlent d’autre chose que de leur ministère ; ils assurent qu’ils s’entendent avec les gros pour ruiner l’habitant. Ça me parait drôle tout de même : il me semble que quand l’habitant est riche, le curé s’en ressent aussi : on paie plus aisément la dîme, on fait chanter plus souvent des grand’s messes, et puis il y a moins de pauvres à charge au curé puisqu’ils trouvent plus d’ouvrage quand l’habitant est à son aise.

Vous savez que la pluie fait souvent germer le blé étendu sur le champ pour le faire sécher, et que pas plus tard que l’année dernière le dommage a été considérable : le curé en a parlé cet été en chaire et a dit que si les habitants mettaient leur blé en biseau en le coupant, il serait ensuite hors de toute atteinte de la pluie et aussi en sûreté que s’il était dans la grange, et d’une bien meilleure qualité. Savez-vous ce que plusieurs habitants ont dit en sortant de l’église ?

— Oui ; père Chouinard ; au sortir de l’église j’en ai entendu plusieurs dire : M. le curé ferait mieux de s’occuper de ses affaires : on voit bien qu’il a peur de manger du blé germé.

— Ça m’a paru si drôle, continua le père Romain, que