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book[1] anglais de dire la vérité. Ma frine (foi), je conte ce que j’avais vu, sans m’occuper d’un grand efflanqué de praticien (avocat) qui me criait : Rappelez-vous que vous êtes sous serment ! comment, vous osez dire ceci ! vous osez dire cela à la face de la cour !

Les sueurs m’abîmaient ; mais je ne pus toujours dire que ce que j’avais vu. Voici maintenant une autre paire de manches : trois autres témoins, des braves et honnêtes gens de la paroisse, s’en viennent jurer que c’était Toussaint qui avait commencé à invitimer Gagnon, et qui l’avait frappé le premier.

Je ne pouvais en croire mes deux oreilles : j’avais tout vu et entendu comme je vous vois, car j’étais arras (près) d’eux. J’en conclus donc que c’était le méchant esprit qui m’avait troublé la vision, et je regardais tout le monde d’un air hébété, quand le juge me dit : Je ne sais ce qui me tient de vous envoyer en prison pour parjure.

Je tremblais comme une feuille, mais heureusement que le défunt monsieur (M. de Gaspé, père) parla tout bas au juge. Ça le radoucit tout à coup : il me regarda fixement, regarda les trois autres témoins et me dit : allez-vous-en. « Je ne me le fis pas dire deux fois, comme vous pensez.

— Mon père, fis-je, m’a tout raconté : il dit à son ami, le juge DeBonne, que vous étiez un des hommes les plus honnêtes qu’il connût et qu’il était certain que vous

  1. Beaucoup de Canadiens ignorants ne croyaient pas autrefois faire un faux serment quand ils juraient sur le book angais. On y a remédié il y a cinquante ans en posant un crucifix sur le couvert de l’Évangile. L’erreur venait de la prononciation du mot book, semblable au mot français bouc, animal méprisé par les Canadiens.