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— J’ai eu mes chagrins comme les autres, fit le père Chouinard : j’ai bien pleuré, allez, quand j’ai perdu mon père et ma mère. Mais c’était la volonté du bon Dieu ; et chacun son tour, comme vous savez. Quant au reste, j’ai toujours roulé mon petit train sans me mêler des affaires des autres ; et sans être ni trop riche, ni trop pauvre, j’avais toujours du pain dans ma huche et du lard dans mon salois (saloir) et capable en tout temps de rendre une honnêteté à un ami qui venait me voir.

— Est-ce que vous n’avez jamais plaidé, père Romain ?

— Je n’ai jamais été à l’auguyence (audience) qu’une fois dans ma vie ; et c’était encore pour obéir au Roi, qui m’ordonnait de paraître comme témoin ; et j’y ai eu du mal, allez. Imaginez-vous qu’il s’élève une dispute entre Toussaint et Gagnon. Toussaint était prompt comme la poudre, et Gagnon doux et patient ; mais je ne sais sur quelle herbe Gagnon avait pilé ce jour-là, (on a de mauvais moments dans la vie,) ne voilà-t-il pas qu’il commence à dire des pauvretés (injures) à Toussaint, et qu’il lui flanque ensuite un coup de poing dans l’estomac. Les voilà pris ; et le pauvre Gagnon se fit accommoder d’importance. Pas trop fier de la rinssarde qu’il avait reçue, il pousse (poursuit) Toussaint devant la justice.

L’auguyence commence et l’on appelle Romain Chouinard. Je salue poliment et je présente mon assination, comme preuve que je ne marchais que par l’ordre du Roi. Le greffier me jette le papier par le nez, ce qui n’était guère poli, et me fait jurer sur le