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Cinq minutes après, le vieillard était plongé dans un profond sommeil ; et moi je m’endormis en méditant chaque phrase de cette excellente prière qui renferme tout ce que l’homme peut dire de plus touchant à son Créateur.

J’aimais ce bon vieillard qui reportait vers Dieu les incidents les plus ordinaires de notre vie de chasseurs. Le père Romain comptait trois piôles par jour, lorsque nous étions au lac, savoir : trois époques de la journée favorables à la pêche : le matin au lever du soleil, le midi et le soir au soleil couchant. Un jour que j’étais au lac avec quelques jeunes amis de mon âge, de Québec, un d’eux, à la piôle du midi, sort de la cabane en chantant un couplet de chanson peu propre à édifier les oreilles chastes. Le père Romain retira aussitôt sa ligne de l’eau et la roula autour de la perche qu’il tenait en main.

— Est-ce que vous avez fini de pêcher ? lui dis-je.

— Oui, dit le père Chouinard : et si vous m’en croyez, faites-en autant : la piôle du midi ne donnera pas après la chanson que monsieur vient de chanter.

Cette sortie fut accueillie avec des grands éclats de rire.

— Riez tant que vous voudrez, dit Chouinard, qui était alors dans toute la vigueur de l’âge mûr, mais le bon Dieu n’en rit pas.

Je lui dis un jour : vous êtes très-âgé, père Romain ; comment se fait-il que vous n’ayez rien perdu de la force et de la vigueur de la jeunesse ? Vous n’avez eu, je suppose, ni de grands chagrins ni de grands malheurs ?