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— Ne dirait-on pas que ce sont des îlots flottants qui viennent à notre rencontre ?

— As pas peur, répliqua le père Romain ; ceux que le bon Dieu a si bien ancrés ne déraperont qu’au jour du jugement.

Sachant qu’il avait navigué pendant sa jeunesse sur le fleuve Saint-Laurent, je lui dis qu’il devait trouver le temps bien long pendant les nuits qu’il était de quart.

— Pas mal, fit mon compagnon, quand la nuit était sombre, mais quand il faisait clair de lune, je trouvais toujours mon quart trop court.

— Pourquoi ? lui dis-je.

— Parce que je voyais de loin ; et toujours quelque chose de nouveau.

Je compris alors tout ce que le vieillard avait de poésie dans l’âme, sans pouvoir s’exprimer comme l’aurait fait un Chateaubriand ou un Lamartine.

Je cherchais souvent le calme des forêts pendant les quatorze années que je passai à la campagne ; je ne rencontrais là que des amis ; et si leur silence religieux apaisait mon âme agitée de sombres pensées, le mugissement de la tempête n’ajoutait rien à ses angoisses.

Je fus témoin d’un spectacle bien grandiose dans toute son horreur : c’est la seule fois que j’ai vraiment joui de la fureur des éléments déchaînés. Un ouragan épouvantable éclata tout à coup pendant la nuit ; les arbres gémirent, se courbèrent et jonchèrent au loin de leurs débris le sol vierge de la forêt. Les eaux du lac, naguère aussi unies que la surface d’un miroir, furent bouleversées jusque dans leur profondeur. Les éclats de la foudre secouèrent les bases des montagnes