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à bien des hommes qui se piquent de savoir vivre, et d’une éducation soignée.

Je veillais seul un soir assez tard près d’un petit feu à la porte de notre cabane dans la forêt, je pensais à la mort qui met fin à tous les maux de l’humanité souffrante ; et croyant mon compagnon endormi, je me pris à répéter à haute voix quelques fragments du touchant monologue d’Hamlet « To be or not to be ; » je répétais pour la seconde, pour la troisième fois ces paroles attendrissantes dont voici la traduction :

« S’il est plus noble à l’âme de souffrir les traits poignants de l’injuste fortune, ou se révoltant contre cette multitude de maux, de s’opposer au torrent et les finir ; mourir, dormir, rien de plus, et par ce sommeil dire : nous mettons un terme aux angoisses du cœur, à cette foule de plaies et de douleurs, héritage naturel de cette masse de chair. »

Il y avait, sans doute, quelque chose de bien touchant dans le son de ma voix, car le père Romain, sans entendre la langue anglaise fut aussitôt près de moi et me dit :

— Qu’en pensez-vous, M. Philippe, il me semble que l’eau est invitante ; allons faire un tour sur le lac !

Je fus touché jusqu’aux larmes, car je pénétrais l’intention de Chouinard, que je savais à peu près aussi disposé à faire une promenade nocturne que moi de me noyer aujourd’hui.

Nous prîmes chacun un aviron ; et dès que je fus sur l’eau le calme se fit dans mon âme. Oh oui ! pensais-je en portant mes regards sur la majesté de la forêt et en les élevant vers le ciel, celui qui a créé toutes ces