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étaient d’égale force à cette besogne, et celui, suivant l’expression naïve des habitants, qui menait la planche du bord ne se la laissait pas soulever sous le nez par les deux autres.

Comme tous les enfants, j’aimais les légendes, les contes et surtout les histoires de revenants les plus effroyables, quitte à m’endormir la tête cachée sous mes couvertures. Aussi lorsqu’il m’était possible de m’emparer de Romain Chouinard à la veillée, il m’en contait quelques-uns, finissant toujours par me dire :

— Quand vous serez grand, M. Philippe, je vous conduirai au lac ; et là, dans la cabane, le soir, je vous en conterai de bien beaux.

Le père Chouinard tint parole pendant les quinze années de ma jeunesse que je rendis de fréquentes visites au lac Trois-Saumons, mais ce fut surtout lorsque je me retirai à la campagne, à l’âge de trente-sept ans, qu’il devint pour moi un compagnon de chasse et de pêche précieux pendant mes excursions à ce beau lac.

Le père Romain n’était pas naturellement gai ; généralement silencieux, il ne prenait la parole que lorsque j’engageais la conversation : j’appréciais ces qualités, car j’étais alors souvent absorbé dans des rêveries mélancoliques dont je n’aimais à me distraire que lorsque le nuage était passé.

Si le vieillard m’abandonnait le plus souvent à mes tristes réflexions, il ne laissait pas de m’en détourner quelquefois, mais de manière à ne jamais me blesser. Il y avait un sentiment inné de tact, de délicatesse, dans l’âme inculte de ce vieillard, que je souhaiterais