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main au matin, quand le curé vint la voir, comme il lui avait promis.

Vous savez, messieurs, continua le père Chouinard, que tous les curés ont le Petit-Albert pour faire venir le diable quand ils en ont besoin.

Nous baissâmes tous la tête en signe d’assentiment, à une sentence si incontestable.

Quand il fut nuit, le curé tira le Petit-Albert qu’il tenait avec précaution sous clef, et lut le chapitre nécessaire en pareilles circonstances. Un grand bruit se fit entendre dans les airs, comme fait un violent coup de vent, et le mauvais esprit lui apparut. Comme c’était la première fois qu’il le voyait, il ne lui trouva pas la mine trop avenate (avenante) et il croisa son étole sur son estomac en cas d’avarie.

Le diable s’était pourtant mis en frais de toilette pour l’occasion : habit, vestes, et culottes de velours noir, chapeau de général orné de plumes, bottes fines et gants de soie ; rien n’y manquait. Et si ce n’est qu’il était pas mal brun, qu’il avait les pieds et les mains pas mal longs, il aurait pu passer proprement parmi le monde. Le curé lui reprocha amèrement ce qui était arrivé à la pauvre jeune fille, l’accusant de lui être apparu pour la faire mourir.

— M. le curé, dit le diable, sous (sauf) le respect que je dois à votre tonsure, vous me croyez donc bien niais pour m’être servi de tels moyens, tandis que j’étais sûr de ma proie en flattant sa vanité et sa coquetterie, et que tôt ou tard j’aurais mis la griffe sur son âme ; tandis qu’à présent la voilà guérie pour le reste de ses jours et qu’elle va se jeter à la dévotion. Allons donc,