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MÉMOIRES.

misses de nos jardins. Tes diables d’enfants mettent tout au saccage. C’est par pure malice, car ils n’ont seulement pas emporté le morceau qu’ils ont coupé avec leurs dents. On en voit encore la marque. Le morceau est resté sur la couche chaude. Il faut que je découvre le coupable.

— Voilà bien du train pour un misérable concombre, fit ma mère, tu n’as pas besoin de faire de grandes recherches, demande-le à Philippe ; tu sais qu’il ne ment jamais, et si c’est lui qui a commis le grand forfait, il va te l’avouer.

J’entendais cette conversation d’une chambre voisine et j’appris avec surprise et avec orgueil que je n’étais pas un menteur : à dire vrai, je n’y voyais aucun mérite, ça me semblait tout naturel. J’étais bien jeune alors ; c’est d’aussi loin des scènes de mon enfance que je puis m’en souvenir, et cependant l’impression que ces paroles me firent ne s’est jamais effacée.

— Est-ce toi qui as coupé mon concombre ? dit mon père en me regardant avec ses grands yeux noirs.

— Oui, c’est moi, répliquai-je ; je l’avais mis dans ma bouche pour jouer, j’ai serré les dents sans avoir dessein de le couper, mais le morceau m’est resté dans la bouche.

Ce n’est pas par gloriole que je rapporte ce trait, mais pour le faire suivre de réflexions utiles. Plusieurs enfants naissent avec une horreur naturelle du mensonge : c’est aux parents à encourager ses heureuses dispositions. Ils doivent accepter tout ce qu’ils disent comme véritable, jusqu’à ce qu’ils les surprennent en mensonge.