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qui frétillait contre mes jambes, je me baisse et j’aperçois une queue d’animal qui défilait, défilait comme de la laine dans un dévidoir. Il en passait, et il en restait toujours. C’est un loup-garou ! que je me dis ; et c’est le devoir d’un créquien (chrétien) de le délivrer en lui halant du sang. Je prends mon courage à deux mains, je tire mon couteau et j’essaye de darder l’insécrable queue, mais elle frétillait comme une anguille et tous mes coups portaient à faux. Ma frine (foi) quand je vis ça, j’abandonnai l’entreprise et je hâtai le pas.

Comme j’avais affaire au moulin de Trois-Saumons pour savoir si mon grain était moulu, car il avait de la presse, je demandai au meunier s’il avait vu passer un homme habillé en gris.

— Je puis vous en donner des nouvelles, me dit-il, j’aidais Quénon (Étienne) Francœur à mettre ses poches dans sa traîne, quand il est passé à huit heures un quart, car Quénon venait de me demander l’heure.

— Eh bien ! M. Philippe, fit le père Chouinard, étais-je un menteur quand j’ai parlé à votre défunt père de la queue du loup-garou ? À peine j’étais rendu chez Baptiste Godrault, qu’il arrivait aux Trois-Saumons, et il y a plus de trois quarts de lieue de chez lui à votre moulin.

Je convins que mon père l’avait calomnié et je lui en fis des excuses.

J’étais assez disposé à faire jaser encore le père Romain, lorsque Charron me dit : Si vous continuez à le faire mentir, il ne lui restera pas demain au matin une dent vaillante dans la bouche pour prendre son déjeûner.